Un bon vieux divan !

Voilà bien longtemps que je n'étais pas revenu dans l'Arche des Noés. J'avais pour ainsi dire boudé le quartier général, sans vraie raison, pendant plusieurs mois. Sans vraie raison, dis-je, et pourtant, il y en a. Ce n'était pas l'Arche qui me rebutait, loin de là. J'aimais bien ce repaire secret, et mes frères et sœurs m'étaient devenus chers au fil des jours. C'était simplement que, récemment, Londres avait été un bien meilleur terrain de jeu, et que j'avais eu fort à faire. De nombreux mortels étaient venus me voir afin de s'offrir un tatouage … C'était fou ce que ce petit artisanat était en expansion, dans les environs londoniens, ces derniers temps. A croire que mes clients me faisaient une bonne publicité, pas vrai ? De toute manière, s'ils oubliaient de la faire, il me suffisait de leur faire faire. Et on ne résiste pas longtemps à l'emprise de la Paresse de Noé. Surtout lorsqu'on n'est qu'un simple et faible être humain.
Et puis, même sans cette entreprise qui visait à accroître mes possibilités d'influence sur l'humanité, je me devais tout de même de hanter un maximum de songe. Je déambulais souvent, des nuits durant, pour faire mon œuvre de marchand de sable … Oh, certes, je ne commerçais que des cauchemars pour la descendance impie d'Eve ou d'Adam. Je me nourrissais de leur sommeil, voilà tout, et j'emmagasinais de la force.
Bref, avec toutes ces activités, je n'avais pas eu le loisir de revenir voir les membres du clan Noé. A mon grand damne.

En quelques mois, l'Arche n'avait pas eu le temps de changer. Enfin, je n'avais jamais ignoré que le Comte était plutôt du genre conservateur. Sa petite famille, son petit confort, ses dîners à trois livres qu'il semblait pourtant apprécier au plus haut point … Enfin, de là à demeurer le même en tous points : je reconnaissais bien là sa sale manie de tout exagérer. Sans les personnalités bien trempés des membres du clan, et les crises nombreuses et diverses qui pouvaient agiter l'atmosphère paisible et désuète des lieux, ce serait un endroit bien morne. Même les chevaux à bascule qui traînaient ici ou là dans la salle de jeux n'avaient pas bougé d'un poil. Pour la plupart.

** J'ai toujours du mal à y croire, à chaque fois que je vois ça, mais c'est vraiment quelqu'un de névrotique, sur les bords … Enfin, même avec tous les défauts du monde il faut se rendre à l'évidence : c'est lui qui a raison sur l'issue que doit avoir cette guerre. Et c'est aussi pour ça que je suis capable d'endurer son caractère … **

Plusieurs idées me venaient à l'esprit quant à la manière d'occuper ces prochaines heures, et ainsi de meubler mon retour sur l'Arche. Mais celle qui l'emporta finalement fut de me dégoter un en-cas, puis de faire une sieste. Après tout, ce n'était pas sans raison que j'avais la mémoire de la Paresse.

Un détour dans le garde-manger s'imposait. Enfin, plutôt, l'un des garde-mangers, car ils étaient bien nombreux, dispersés dans l'Arche de Noé. C'est qu'il fallait pas mal de nourriture pour alimenter ce clan. Je pensais notamment à Skin, qui avait la fâcheuse manie de manger dix fois plus que tout le monde, et particulièrement des sucreries. D'ailleurs avec Road, sur ce point, ils formaient la pair. Je me demandais d'ailleurs régulièrement où est-ce que le Comte pouvait trouver autant de bonbons à leur pourvoir …
Je l'imaginais bien envoyer une troupe d'Akumas braquer une confiserie. C'était tout à fait grotesque, mais c'était complètement le genre de chose qu'il aurait pris beaucoup de plaisir à faire. Oh, pas nécessairement en demandant aux Akumas de prendre apparence humaine. En fait, il pouvait même dépêcher un niveau deux ou trois suffisamment discret pour le faire sans éveiller de soupçons.
Ou peut-être qu'il faisait simplement apparaître tout ça. Sucre, viande, fromages, pain … Après tout, il avait des pouvoirs bien plus impressionnant que celui-là. Alors ça ne m'aurait pas étonné plus que ça. Je n'étais plus à ça près.

** Et me voilà en train de me demander de quelle manière le Comte se ravitaille. C'est puéril, et inutile de se demander de telles choses. De toute manière, il le fait, et le fait bien. Et puis hormis Skin, je doute qu'on puisse réellement faire mourir de faim un Noé. Oh, bien sûr, ça ne nous ferait pas de bien … Mais je craindrais bien d'avantage qu'on m'empêche de me relaxer tranquillement. **

Bon, cela dit, me voilà parti pour le salon avec un clafoutis dans le plat que je tenais désormais dans la main droite.
Le tout posé, une part à moitié ensevelie par mon estomac, je m'enfonçais le dos dans un divan qui se limitait à une description simple et sommaire : énorme et moelleux.

Mais bon, les bons moments comme celui-ci ne sont jamais éternels : quelqu'un fini par entrer. Qui était-ce ? Je ne le voyais pas, ayant le dos tourné à la porte d'entrée.

« Hum … Tu veux du clafoutis c'est ça ? Tu as bien raison, il est excellent. »

C’était une journée resplendissante. Les rayons du soleil illuminaient la ville et les mines réjouis des passants. Ces derniers riaient aux éclats, passant et repassant devant les vitrines des magasins. Certains se rendaient aussi dans un grand bâtiment bleu, aussi appelé « piscine ». Et comme si ce magnifique soleil ne suffisait pas, il fallait en plus qu’une brise légère mais rafraîchissante vienne pointer le bout de son nez. En résumé, c’était une journée magnifique, avec des humains ravis.
Pourtant, ce n’est pas vers eux que nous allons rester. Nous allons nous concentrer sur deux autres personnes, isolées des autres, profitant ainsi du calme à l’ombre d’un arbre. Elles dégageaient une aura différente… Sombre et malsaine… Personne ne savait qui elles étaient, car personne ne les approchaient. Et c’était tant mieux ! Du moins, selon elles. Elles ne souhaitaient pas les voir. Trop moche, qu’elles disaient.

« Pfff… journée de merde, mission de merde ! »

Ce langage fleuri, cette motivation hors du commun… Tout le monde aura bien sûr reconnu Debitto. Et donc, par déduction, le second devait être Jasdero. Les deux Noés revenaient d’un trou paumé. Et bredouille, en plus ! Tout ça c’était de la faute de ce foutu informateur… même pas capable de donner de bonnes informations ! Ils avaient tournés pendant des jours dans cette ville truffés d’humains en tout genre, et pas une seule trace de cet enfoiré de Cross ! Ah, si. Ils s’étaient retrouvés avec une reconnaissance de dettes en plus. Il s’était bien foutu d’eux cet enfoiré ! mais un jour, il regretterait de s’être moqué d’eux… Oh oui. Leur vengeance serait terrible !

« MOUAHAHAHAHA !! »

Sous ce rire satanique retentissant, nombre de gens s’étaient retournés. Parti dans son speech de vengeance, Debitto ne s’était même pas aperçus qu’il parlait à voix haute. Et avec le rire en plus, c’était l’affiche assurée. Et Jasdero qui l’encourageait dans ses délires irréalisables…
En tous cas, notre ami venait de se rendre compte du ridicule de la situation. Il prit donc l’une des plus intelligentes décisions de la journée. A savoir : Partir, et rentrer à l’arche. Ce qu’ils firent.
Nous retrouvons nos jumeaux dans les couloirs de l’Arche. Ça faisait du bien de rentrer chez soi, bordel ! Surtout après tous les malheurs dont nos pauvres jumeaux ont été victimes. Ayant subitement retrouvé sa bonne humeur et étant soudainement victime d’une folle envie de se lâcher, Debitto se mit à courir dans les couloirs, suivit de près par son frère. Il avait juste envie de ça. Peut-être était-ce dû à son caractère tout fou ? Quoi qu’il en soit, il avait envie de hurler, et de se défouler à cause de l’accumulation de petits soucis. Pourtant, il n’en fit rien. Étonnant !
Ils coururent un petit moment sous le regard incrédule des Noés qu’ils rencontraient. Finalement, leur course se termina dans une pièce qu’ils ne connaissaient que trop bien. Leur entrée fut rapide et fracassante : Ils déboulèrent dans le petit salon sans se soucier des éventuels Noés qui souhaiteraient se détendre. C’est après que l’information arriva au cerveau. S’arrêtant net, les jumeaux observèrent une de leur "sœur" confortablement installée dans le divan. Ils se connaissaient quasiment tous ici… mais elle, c’était la première fois qu’ils la voyaient. Elle leur tournait le dos, et ils ne purent voir que ses cheveux corbeaux.

« Hum … Tu veux du clafoutis c'est ça ? Tu as bien raison, il est excellent. »

… c’était à eux qu’elle parlait ?

Ignorant la question, surtout car ils n’avaient jamais mangé de clafoutis mais aussi parce qu’ils ne savaient pas si elle s’adressait à eux, ils partirent en direction de la cuisine. Leur petite course les ayant épuisés, les jumeaux se servirent plusieurs verres de jus de fruits qu’ils burent d’une traite avant d’emporter la bouteille contenant la boisson ainsi que leurs verres respectifs. S’approchant du divan, ils se laissèrent tomber dedans. Un silence s’installa. Etant cependant du genre bavard, Debitto engagea un début de conversation en s’adressant à la Noé installée à ses côtés.

« Salut ! C’est la première fois qu’on se voit, non ? »

Très original, n’est ce pas ?

« Moi c’est Debitto, et lui c’est Jasdero, mon frère. On est les Noah du Lien ! »

Ce n’est pas comme s’il s’attendait à une réponse, mais voilà. Au moins, ils s’étaient présentés. Maintenant, à elle de faire de même.

» Bogota - Le vieux temple Inca [Shona/Adam]